se retrouver... comme avant | ft Luca

Tu pouvais comprendre pourquoi Luca n'était pas resté – ou pourquoi il n'avait pas voulu que tu restes. Tu lui rappelais sans doute trop la personne qui l'avait blessé. Même si vous étiez différents, Francesco et toi, vous étiez liés. Il était ton frère. Évidemment que pour les autres le lien se faisait automatiquement. Alors tu pouvais comprendre. Tu ne savais pas par quoi il était passé et tu te doutais bien qu'il te manquait des pièces pour compléter le puzzle. Tu supposais que ces détails-là, ils ne te regardaient pas. T'étais pas concerné... Pourtant tu l'étais, non ? Tu t'étais pris la tempête sans avoir cherché à la faire naître. C'était un retour de bâton alors que tu n'avais rien envoyé. T'avais compris sans comprendre. Tu comprenais sans comprendre. La seule chose que tu te répétais était que ce n'était pas juste. Ce n'était pas juste que tu paies pour les erreurs de ton frère dans lesquelles tu n'avais rien à voir. Ce n'était pas juste. Rien de tout ça n'était juste.
Pourtant t'avais pas eu le choix que d'accepter. T'avais pas le choix. Tu devais accepter – la pilule avait juste du mal à passer. T'avais perdu ton frère, cette image qu'il s'était construite dans tes pensées, ce frère parfait, à qui tu pouvais ressembler. Il avait tout cassé. Cette confiance aveugle que t'avais eu en lui ? Détruite. Et tu savais que t'allais plus la retrouver même si tu passais des heures à chercher. Tu lui en voulais pour ça, mais aussi pour ce qu'il avait fait à Luca. Blesser un ami de la sorte ? Inadmissible. Si encore il avait de bonnes raisons... – et même là t'avais des doutes. Mais aussi tu lui en voulais car à cause de lui tu avais perdu un ami. T'avais perdu une amitié que tu pensais dure et solide. T'avais perdu un ami avec qui tu adorais passer du temps. Rien de tout ça n'était juste.

Le coin de tes lèvres se levèrent à peine alors tu déglutissais discrètement. Ce n'était pas juste. T'avais l'impression d'avoir été mis au coin alors que ce n'était même pas toi qui avais perturbé la classe. Injuste. Et ton frère qui essayait de se racheter... Comment pouvais-tu lui dire qu'il n'arriverait probablement plus à reconstruire tout ce qu'il avait brisé ? Luca, leur amitié, votre amitié, la confiance, toi... « Je comprends », soufflas-tu doucement en tentant un regard vers lui. Bien sûr que tu comprenais. Et ça avait été alors logique qu'il pense à lui en premier. C'était même primordial. Tu secouas doucement le visage, les lèvres closes. « Je sais », dis-tu simplement après quelques instants de repos. « Je sais que j'y suis pour rien » et c'était sans doute ça qui faisait le plus mal, encore aujourd'hui. Mais c'était quand même comme ça non ? Petit pion que t'étais, t'avais été emporté par le souffle du vent – et t'étais tombé.
Tu restas silencieux, le regard fixé sur la table, te mordant distraitement les lèvres, tes doigts jouant entre eux sur tes cuisses. Tu reniflas discrètement. « On peut dire que c'est une chance alors ? Qu'on se soit croisés aujourd'hui », articulas-tu lentement en redressant les prunelles vers lui, une petite lueur y brillant. L'espoir de pouvoir rebâtir ce qui s'était écroulé. « Je pensais souvent à toi aussi. Dès que je lisais un livre sur les étoiles.. T'étais le seul avec qui je pouvais en parler », avouas-tu dans une esquisse, nostalgique, triste, amère aussi sans doute. « Est-ce que... », tes lèvres bougèrent mais aucun son n'en sortit et tu baissas le regard dans un souffle court. Voulait-il vraiment que tu fasses parti de sa vie ? Avait-il simplement voulu s'excuser ? Lui rappelais-tu encore trop Francesco ? Etait-ce trop tôt ? Ou peut-être qu'il était trop tard ? Est-ce que tu l'avais perdu pour toujours, cet ami ?

Est-ce que les choses auraient été différentes si tu avais parlé, ce jour-là ? Si tu avais dit que tu n'étais pas d'accord ? Tu supposais que toi non plus, il ne voudrait plus te voir aujourd'hui. Ca aurait été égoïste, n'est-ce pas ? De lui demander de rester alors que tu lui rappelais quelqu'un qui l'avait blessé, alors que simplement te voir lui ferait du mal. Tu voulais pas ça. T'étais du genre à choisir de disparaître si ça pouvait soulager quelqu'un, quitte à te blesser au passage. Quitte à en crever. Le temps que l'autre allait bien, tu supposais que c'était la bonne chose à faire. Mais pourquoi t'étais jamais ravi de la conclusion ? Pourquoi t'avais toujours un goût amer dans le fond de la gorge à chaque fois ? Pourquoi t'avais l'impression de ne pas avoir assez dit ton avis ? Partagé ton opinion ? Pourquoi t'avais la sensation d'avoir quand même tout raté ? Parce que tu perdais quelqu'un, toi. Tu perdais un ami. Tu perdais une amitié que tu avais longtemps espéré, des rires que tu avais longtemps voulu partager et une passion commune. On te quittait souvent. En amitié comme en amour. Mais en amour, t'arrivais plus ou moins à t'en remettre. Luca, t'avais toujours du mal à accepter qu'il soit parti. T'avais pas eu le choix. Tu l'avais toujours pas aujourd'hui, d'ailleurs. S'il souhaitait partir à nouveau tu le laisserais filer de toute façon. Tu le savais, tu te connaissais trop bien. Tu résisterais pas, souhaitant simplement qu'il fasse le choix qui était le mieux pour lui même si c'était le plus cruel pour toi. T'avais envie de dire que t'avais l'habitude mais ce serait te faire passer pour un type dramatique, tu voulais pas ça. Mais c'était vrai, t'étais habitué à les voir s'en aller, tes ami.e.s. Petit à petit on partait, on te laissait. On changeait de route, prenait un autre chemin et toi tu restais là, inerte et t'attendais.
Quoi, t'en savais rien, mais t'attendais.
Qu'on vienne te chercher, peut-être.

Tu secouas doucement le visage, les lèvres finement pincées. Tu supposais qu'il n'avait pas à s'excuser. C'était normal de vouloir se protéger. Peut-être que tu aurais fait pareil – peut-être pas. T'en savais rien, tu pouvais pas te mettre à sa place, vivre les choses pour lui, comme lui. Chaque personne était différente donc ta réaction l'aurait été tout autant. Ca n'empêchait pas que oui, tu étais blessé. Ca te blessait d'y penser, de te dire qu'on t'avait lâché parce que ton frère avait fait le con. Que tu cautionnes ou pas ce qu'il avait fait ne changeait au jugement : on préférait t'écarter. Évidemment que ça faisait mal. Évidemment que tu pouvais pas dire que t'étais heureux de ce choix. Mais ce n'était pas le tien, c'était le sien. Et s'il lui semblait bon, pour lui, t'étais personne pour dire qu'il ne l'était pas. « C'est vrai », susurras-tu doucement, l'esquisse fine, encore timide. Comme si t'apprenais à le connaître à nouveau. Pourtant tu le connaissais. T'avais souvent pensé à lui. « Tu.. oh. Si... Oui je veux bien mais si tu.. si tu veux surtout », que tu dis, le regard pétillant, enjoué, peut-être un peu trop. Comme un chiot devant qui on agitait un os. Tu clignas doucement des paupières en le regardant, les lèvres finement écartées comme si la scène te semblait irréel. « D'autres sorties ? », répétas-tu bêtement, les pommettes un peu rosies avant d'agiter doucement le visage dans un sourire fin. « Ce serait avec plaisir », plus que ça même. Ca te donnait du baume au cœur. Ca te le réchauffait, même. Le coin de tes lèvres se haussa délicatement. T'espérais juste qu'il ne te propose pas ça par pitié mais bien parce qu'il le voulait réellement. Tu sortis ton téléphone, lui tendant, un petit air excité sur le visage à l'idée de pouvoir lui reparler. Peut-être pas comme avant. Peut-être qu'il ne voulait pas. T'en savais rien. Mais recommencer. Petit à petit. « J'ai toujours le même numéro », dis-tu, avant de cligner des paupières. Il ne devait plus le connaître, ton numéro. « Enfin uh.. oui. Ce serait avec plaisir de pouvoir parler du livre... », tu jetas un regard à gauche puis à droite. « Et d'autres choses aussi », rajoutas-tu rapidement, gardant une fine rougeur sur les joues. « Et... se revoir », tu lui lanças un sourire, discret mais sincère, les prunelles brillant rien qu'en y pensant. « Tu n'as pas encore rencontré Tetris je crois ? Tu pourras le rencontrer », t'avais pas de femme à présenter mais t'avais... ton chat.

S’excuser, Luca le ferait encore et encore si cela pouvait effacer et apaiser ne serait-ce qu’un peu la déception que Tian avait dû éprouver à l’époque. Il n’était pas fautif dans ce qui était arrivé à l’officier néanmoins indirectement, il en avait payé le prix et c’était bien le pourquoi le jeune homme tenait tant à s’excuser. Il n’avait jamais voulu le blesser cependant à cette période, il n’avait pas été en mesure de réfléchir correctement, il était encore trop jeune, trop faible, trop lâche… Comment expliquer qu’il avait perdu tout ce en quoi il croyait ? Entendre Francesco et Serena le dénigrer de la sorte avait été certainement pire que la tromperie en elle-même. Il avait cru en des personnes qui ne l’aimaient pas, qui ne l’avaient peut-être même jamais aimé, et forcément, il était tombé de haut. Très haut. Sa confiance en lui déjà bien basse en avait pris un sacré coup et il ne se serait probablement jamais relevé si son meilleur ami ne s’était pas tenu à ses côtés. Hors, tout ça était derrière lui désormais et Luca était sincèrement heureux de retrouver ce camarade perdu ; pour une fois que la chance était avec lui, il n’allait pas laisser passer cette occasion. Certes, il ignorait ce que Tian désirait toutefois il ferait de son mieux pour se rattraper, pour lui prouver qu’il regrettait et qu’il lui avait vraiment manqué. Il ne mentait pas, c’était sincère, il n’avait simplement pas été assez courageux pour reprendre contact et c’était peut-être pour cela que la vie lui donnait un petit coup de pouce. Voilà la raison pour laquelle, l’officier n’avait pas hésité à lui proposer de lui passer son nouveau numéro, un autre moyen de faire comprendre à son vis-à-vis qu’il souhaitait réellement reprendre contact et qu’il était prêt à tout pour ça. « Evidemment que je le veux, je ne te le proposerais pas sinon. » Cela lui faisait énormément plaisir l’idée de pouvoir retrouver cet ami d’antan. Dans ses souvenirs, Tian avait toujours été un garçon adorable, un garçon avec qui il était si facile de discuter et d’échanger ; leurs discussions sur les astres pouvaient parfois se perdre pendant des heures, ils ne voyaient même pas le temps s’écoulait et tout ça, cela lui avait beaucoup manqué.

Le sourire aux lèvres, Luca avait même précisé qu’ils pourraient se faire plusieurs sorties, se retrouver comme avant, et cette rétorque avait fait plaisir à son interlocuteur. « Super. Je suis content. J’avais peur que tu ne veuilles pas. Merci. » Son visage à lui aussi s’illuminait, réellement rassuré que son ami ne le rejette pas, et sans hésiter, il s’était emparé de son téléphone afin d’y rentrer son numéro à l’intérieur. « Ah. J’aurais juste pu t’appeler du coup. » Un léger rire avait traversé sa bouche avant qu’il ne hausse les épaules dans un « Tant pis. » puis ne lui rende son portable. Bien sûr qu’il avait gardé son numéro, un simple au cas où si jamais l’envie lui prenait de le recontacter, sauf qu’au bout du compte, le hasard l’avait devancé et ce n’était pas plus mal. « On pourra parler de tout et de rien, puis faire plein de choses, oui. » L’esquisse présente sur son visage était à la fois attendrie, à la fois amusée par l’expression qu’affichait Tian ; ce dernier semblait sincèrement heureux de le retrouver et il en était de même pour l’autre garçon. Vraiment. « Tetris ? » Penaud, il avait penché légèrement sa tête sur le côté, ignorant de quoi parler son camarade. « Mais avec plaisir. Tu pourras venir à la maison aussi si tu veux. » Le haras lui plairait tellement, Luca en était certain. C’était un si bel endroit pour se détendre, pour se balader et également pour observer les étoiles. Rien que d’y songer lui rappeler le bon vieux temps et il avait hâte, bien plus que ce qu’il n’exprimai extérieurement.