groove | ft Isaac

Tu te sentais un peu... dépaysé ? Tu ne saurais trouver le bon mot alors que tu regardais le décor autour de toi. T'étais pas totalement perdu, en soit. C'était un décor que tu connaissais, que tu savais apprécier même. C'était une ambiance accueillante, douce, chaude et même rassurante. Tu trouvais les lumières plutôt belles, l'atmosphère plutôt posée. Ca te donnait envie de te mettre dans un coin avec un bon livre, pour profiter de la bonne musique que tu aurais en fond. Pour te détendre mais aussi pour te plonger dans un autre univers. Dépaysé n'était pas le bon mot... quel était-il, alors ? Tu observais les visages inconnus autour de toi, les lèvres finement pincées, comme un gamin qui serait rentré seul dans un magasin trop bondé. Tu te sentais un peu perdu, en fait. C'était un peu ce que tu ressentais à chaque fois que t'entrais dans un lieu fréquenté en ce moment. Il y avait « trop » de monde pour toi. Tu te sentais petit, perdu et paumé dans une foule dont tu ignorais tout. Tous ces visages qui te tournaient autour te rendaient un peu plus fébrile, tes doigts se pressant nerveusement entre eux, tes prunelles cherchant frénétiquement une silhouette connue.

T'avais remarqué, ces derniers temps, que tu retombais dans tes habitudes de môme. Ces habitudes qui marquaient ta timidité et ta discrétion. Ces habitudes qui t'avaient fait paniquer à l'époque pour parler à la boulangère, qui te perdaient aujourd'hui quand tu t'adressais à un.e inconnu.e. A l'époque, tu te cachais, tu t'accrochais à quelqu'un et l'ensemble passait mieux. Mais aujourd'hui t'étais grand, t'étais un adulte et t'avais pas tes sœurs avec toi pour t'agripper à leurs bras pour ne plus avoir peur. Il n'y avait que toi, tes questions, tes craintes et tes doutes et c'était parfois un peu écrasant. Ta moue crispée se détendit en apercevant Isaac, tes pas te menant directement jusqu'à lui, le soulagement visible dans tes pupilles. Le coin de tes lèvres se leva doucement alors que tu le saluais. « Tu vas bien ? », demandas-tu, jetant un regard vers la foule avant de le regarder à nouveau. « Je pensais pas qu'il y aurait autant de monde », avouas-tu lentement, les pommettes rosies – t'avais pas l'impression de te sentir observé ce soir mais cette peur ne quittait pas tes pensées. Il y avait trop de monde dans ton dos, trop de monde que tu ne connaissais pas. « En tout cas l'endroit est sympa », déclaras-tu dans une fine esquisse, les prunelles posées sur lui.

Ses doigts qui glissaient le long des cordes de guitare, sa voix qui chantait de douces mélodies et son pied qui tapotait le sol au même rythme que la musique, Isaac ne parviendrait jamais à se lasser de ce genre de choses. Il avait la musique dans la peau, cela le transportait toujours loin, très loin. Il ne regrettait pas d’avoir choisi cette voie bien que ce temps de répit avait tendance à l’effrayer ; parce que si tout allait plus ou moins bien actuellement, il savait mieux que personne que cela ne durerait jamais longtemps. Il avait assez vécu pour savoir que tout était éphémère et qu’il ne pouvait malheureusement pas se reposer sur ses lauriers sinon on le dévorerait tout entier. Sa vie restait compliquée, il n’aurait pas à baigner dans l’illégalité si son quotidien s’était arrangé, si ces hommes n’étaient pas présents dans son existence pour lui rappeler qu’il avait toujours des tas de dettes à rembourser. Hors, c’était vrai que lorsqu’il travaillait dans ce bar au soir, il en oubliait un tant soit peu ses problèmes et ses passions avaient don de le perdre dans une bulle que lui-même se créait. Cela apaisait son cœur enragé, ça le rendait beaucoup plus calme bien que, non, ça n’effaçait pas l’homme fougueux et sauvage qu’il était. Pourtant, ce n’était pas un mensonge de dire qu’Isaac avait changé ces derniers mois, il était plus souriant, moins sur la défensive et plus rationnel aussi parfois. Lui-même en était le premier à s’en étonner cependant il n’avait pas d’autres choix que de le constater et c’était certainement la raison pour laquelle il était plus terrifié de l’avenir que ce qu’il avouait à haute voix.

Le concert terminé, le jeune homme s’était attelé à ranger ses affaires puis sa guitare sur le dos, il avait arboré un fin sourire en reconnaissant Tian. « Ca va et toi ? » L’avait-il interrogé à son tour avant de poser son regard sur la salle. En effet, il y avait beaucoup de monde ce soir, bien plus que ce qu’il avait l’habitude de voir tous les jours. Cela dépendait des moments, parfois l’ambiance était plus calme, parfois les tables étaient presque toutes prises. Le bar avait sa petite réputation et Isaac mentirait s’il disait lui-même ne pas apprécier l’atmosphère qui s’en dégageait. « Oui, j’aime beaucoup. » C’était beaucoup plus plaisant et moins bruyant que la discothèque dans laquelle il avait travaillé quelques mois plus tôt. « Tu veux prendre un verre ou tu veux qu’on aille se caler ailleurs ? » Les deux options lui convenaient, Isaac n’avait jamais été très compliqué et il l’était encore moins quand il était en compagnie de sa petite sœur ou de Tian.

La foule te perdait. Voir tant de visages que tu ne connaissais pas autour de toi te donnait le tournis. Comme si tu ne savais plus sur quelle forme te concentrer. Comme si tu ne savais plus quelle ombre dansait et laquelle était immobile. Tu pensais que tout le monde te fixait alors que personne te regardait. Tu sentais des regards sur toi et pourtant, quand tes prunelles tournaient, tu ne croisais aucun regard vers le tien. C'était à en devenir dingue, comme si tu tournais sans cesse en espérant t'arrêter et trouver cette personne qui te fixait. Mais tu devais te faire à l'idée que personne ne te regardait, c'était juste ton esprit qui te jouait un tour. Et c'était compréhensible, tu supposais, avec cette peur qui te suivait tous les jours. A tel point que parfois tu ne savais plus si l'impression était là ou non. A tel point que ne pas discerner cette impression dans ton dos t'effrayait encore plus que le ressentir. C'en devenait compliqué de trier le faux du vrai. Le mensonge de la vérité. Les idées de la réalité. Tu devrais peut-être songer à extérioriser tout ça d'une manière ou d'une autre. Non ? Ou peut-être en parler. Mais articuler les mots te faisait toujours autant peur. Tout comme le penser. C'était effrayant. Pour le moment tu préférais tenter de te concentrer sur Isaac. Tu préférais laisser ça derrière toi – sans idée ironique et blague à part. Ce serait mieux pour toi. Tu retrouvais Isaac, t'étais pas là pour te plaindre.

Un léger sourire aux lèvres, tu hochas quelque peu le visage, un air mal assuré décorant tout de même ta frimousse. « Ca va », dis-tu, laissant ton regard tourner autour de vous. Un souffle se brisa contre ta bouche et t'humectas les lèvres. L'ambiance restait agréable, si tu restais objectif. Ce n'était pas ta scène préférée mais tu devais avouer que l'atmosphère était sympa. Tu te surprenais à chanter parfois mais tu t'imaginais mal le faire devant une salle pleine. T'oserais même pas articuler trois mots. Le coin de tes lèvres se leva et tu l'observas en silence, détaillant son expression, son regard. Il semblait apaisé d'être ici – alors tu devrais l'être aussi. Ce serait malpoli d'être clairement mal à l'aise dans un lieu qu'il appréciait non ? « Oh on peut... », tu agitas brièvement tes doigts autour de toi. « On peut prendre un verre », tu secouas légèrement le visage comme pour appuyer tes paroles même si ton regard était clairement hésitant. Tu ne voulais pas le forcer à quitter un endroit qu'il appréciait autant. « Est-ce que... ils servent des sodas ? », demandas-tu naïvement, clignant des paupières en le regardant, le visage finement basculé sur le côté. Ta question devait paraître tellement idiote. « Je sais pas pourquoi j'ai cette image où il n'y a que de l'alcool de servi », te justifias-tu dans un petit air désolé. Tu avanças vers le comptoir, te faufilant entre les gens quand tu le pouvais, attendant qu'ils bougent d'eux-mêmes quand tu ne pouvais pas plutôt que de leur demander de s'écarter. Passant tes doigts sur ta nuque dans une moue embêtée, tu fis le tour plutôt que de déranger cet homme face à toi. Pourquoi faire simple... « Tu veux boire quoi ? », interrogeas-tu Isaac une fois arrivé. Tu observas distraitement les boissons proposées, commandant timidement un soda, répétant deux fois parce que t'avais parlé trop bas la première fois. Tu retombais vraiment dans tes travers de gamin paumé. « Tu as l'air apaisé de travailler ici », tu penchas quelque peu le visage comme si tu posais une question sans vraiment le faire. « Le décor te va bien au teint en tout cas », commentas-tu simplement dans une esquisse tendre.

Travailler dans un tel endroit, Isaac appréciait grandement. Il peinait souvent à réaliser cette chance qu’il avait eu de pouvoir se produire en ces lieux et il avait toujours peur que la dure réalité finisse par le rattraper. Il savait que ce calme ne serait pas éternel puis qu’un moment viendrait où il n’aurait probablement pas d’autres choix que de fuir. Certes, c’était vrai aussi que parfois, il se plaisait à penser que la roue avait peut-être enfin tourné en sa faveur et qu’il pouvait désormais profiter sans trop s’alarmer, hors c’était dans sa nature de rester sur ses gardes. Il ne cessait d’appréhender l’avenir au point où il peinait à trouver le sommeil au soir parfois, parce qu’il ne savait pas ce que le futur lui réservait et qu’il craignait de perdre tout ce qu’il avait. Ô évidemment, il avait l’habitude d’être blessé, il avait l’habitude de tourner le dos à ses êtres chers puis de vivre dans l’instabilité constamment, hors ça n’enlevait pas le fait que ça faisait mal malgré tout. Il s’agissait de réflexions qu’il ne mentionnait jamais à haute voix, des réflexions pour lesquelles il essayait de ne jamais trop se formaliser non plus hors oui, il aimait cet endroit. Cela ne le dérangeait toutefois pas d’aller ailleurs si c’était ce que Tian désirait, Isaac n’était pas particulièrement quelqu’un de compliqué donc il le suivrait sans rechigner. Et c’était justement parce que le plus jeune paraissait hésitant que le musicien l’avait observé quelques instants. « On peut sortir si tu veux, ça ne me gêne pas. » Un fin sourire avait orné ses lèvres alors qu’il souhaitait avant tout le rassurer et ne pas le forcer à faire une chose dont le garçon n’avait peut-être pas envie. Après tout, ce n’était pas parce que lui n’était pas embarrassé par le monde et qu’il se faufilait si facilement dans la masse que c’était forcément le cas des autres.

Néanmoins, Tian paraissait décider à rester ici, que cela soit par dépit, pour lui faire plaisir ou parce que ça ne le dérangeait pas non plus, Isaac l’ignorait. Il s’était contenté de ne pas trop insister, peu motivé à l’idée de se perdre dans une conversation sans fin. « Bien sûr qu’ils servent des sodas, même des sirops et des cocktails sans alcool si tu veux. » Son ami avait un côté vraiment innocent, c’en était presque mignon. « Je ne peux pas te dire pourquoi non plus. » Haussant les épaules, un air amusé collé au visage, il l’avait suivi en silence jusqu’au comptoir, faisant malgré tout attention aux personnes autour d’eux. Une bagarra était si vite arrivé dans ce genre de lieux, principalement à cause des effets de l’alcool qui ne faisait pas toujours bon ménage et il ne souhaitait pas voir Tian mêlé à ce genre d’histoire pour des bêtises. Le concerné se débrouillait en réalité plutôt bien, et une nouvelle esquisse amusée s’était étiré sur les lèvres du plus âgé, en le voyant contourner un client au lieu de lui demander gentiment de se décaler. Toujours sans rien dire, Isaac l’avait suivi avant d’arriver enfin au niveau du bar. « Je pense que je vais prendre une bière. » C’était toujours agréable après un petit concert et ça rafraîchissait. « Et toi ? Tu as choisi ? » Son regard avait commencé à explorer autour de lui avant de revenir se poser sur son voisin qui lui adressait la parole. « C’est peut-être parce que je suis un peu plus dans mon élément ? » Avait alors déclaré le garçon dans un léger rire, une once de taquinerie se reflétait dans le son de sa voix. « La musique a tendance à me calmer, c’est sûrement pour ça. » N’importe qui se demanderait probablement pourquoi il n’en avait jamais profité plus tôt, pourquoi il n’avait jamais mentionné cette passion auparavant et lui déclarerait certainement qu’il avait des tâches plus importantes à s’occuper. Il n’avait jamais voulu penser à sa personne en premier, le confort et l’éducation de sa petite sœur étant ce qu’Isaac considérait comme primordial.